Dans un monde où l’information circule à une vitesse fulgurante, il est légitime de s’inquiéter des fausses nouvelles et de leur impact sur l’opinion publique. Toutefois, la tentation de criminaliser la « désinformation intentionnelle » soulève une question fondamentale : qui décide de ce qui est vrai ou faux ?
L’idée d’interdire certaines formes d’expression pour protéger la démocratie part d’une intention noble, mais elle ouvre la porte à un danger bien plus grand : celui de la censure étatique. Car derrière le terme de « désinformation », on trouve bien souvent des idées qui dérangent les élites en place. Il est aisé d’imaginer comment un gouvernement, sous couvert de préserver la vérité, pourrait censurer ses opposants politiques et manipuler le débat public.
Prenons un instant pour réfléchir aux précédents historiques. Des régimes autoritaires ont souvent justifié la suppression d’opinions dissidentes en prétendant combattre le « mensonge » ou le « discours nuisible ». En Chine, le Parti communiste contrôle le flot d’informations sous prétexte de lutter contre les rumeurs nuisibles à la stabilité nationale. En Union soviétique, toute critique de l’État pouvait être qualifiée de « propagande anti-soviétique » et réprimée sévèrement. Ces exemples ne sont pas des reliques du passé, mais des rappels des dérives possibles lorsque l’État s’arroge le monopole de la vérité.
En démocratie, la vérité n’est pas dictée par décret, mais émerge du débat, du choc des idées et du droit de chacun à s’exprimer. Oui, la désinformation est un problème, mais sa meilleure antidote n’est pas la censure, c’est l’éducation, la transparence et la pluralité des voix. Les citoyens doivent être libres d’entendre différentes versions des faits et de se forger leur propre opinion. Supprimer les discours que l’on juge faux ou dangereux, c’est nier la capacité du peuple à discerner le vrai du faux, et c’est, en soi, une vision profondément antidémocratique.
D’autant plus que la notion même de « désinformation intentionnelle » est sujette à interprétation. Qui détermine l’intention ? Une erreur de jugement devient-elle un crime ? L’histoire récente nous montre que certaines vérités contestées à un moment donné – sur la pandémie, sur des scandales politiques, ou sur des enjeux économiques – se sont révélées exactes avec le temps. Si nous avions interdit leur diffusion sous prétexte de lutte contre la désinformation, la vérité n’aurait jamais pu émerger.
Plutôt que de criminaliser la parole, nous devrions renforcer la culture du débat et du scepticisme éclairé. Ce n’est pas en muselant des idées que l’on protège la démocratie, mais en encourageant un esprit critique et une presse libre. Car une société qui craint la liberté d’expression au nom du bien commun s’engage sur une pente glissante, où la fin justifie les moyens, et où, au final, la démocratie se trouve sacrifiée sur l’autel de la « vérité officielle ».
Si nous voulons vraiment défendre nos valeurs, protégeons la liberté d’expression plutôt que de chercher à la restreindre. Car une démocratie qui censure pour se protéger est déjà une démocratie qui vacille.