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Un homme au regard grave est bâillonné avec des journaux québécois, dont « Le Journal de Montréal », « La Presse » et « Le Devoir ». En arrière-plan, une foule anonyme se tient dans l’ombre d’un écran géant, où une silhouette gouvernementale géante manipule des marionnettes.

Médias québécois : les signes d’un discours autoritaire en hausse depuis 2020

Posted on 24 juillet 202524 juillet 2025 by Sandrine Marquis

Depuis 2020, une évolution préoccupante se dessine dans le discours véhiculé par les grands médias de masse québécois (Journal de Montréal, La Presse, Le Devoir, Radio-Canada, TVA, etc.). Au fil de crises successives – pandémie de COVID-19, urgence climatique, débats de sécurité publique et controverses sur la liberté d’expression – on observe une normalisation de postures autrefois jugées extrêmes ou autoritaires. Les mesures restrictives jadis exceptionnelles sont présentées comme acceptables, voire nécessaires, au nom du bien commun. Des arguments moraux sont fréquemment invoqués pour justifier des atteintes aux libertés civiles. Les voix dissidentes sont souvent marginalisées ou diabolisées. Le discours médiatique tourne abondamment autour de la peur, de l’appel à la conformité et au devoir collectif, dans un langage parfois technocratique ou paternaliste.

Cet article propose une analyse critique, appuyée sur des exemples concrets tirés de plusieurs médias québécois depuis 2020, afin de mettre en lumière les signes d’une montée d’un discours aux accents autoritaires. Nous examinerons successivement les grands thèmes de l’actualité – politique, santé publique, climat, sécurité, liberté d’expression – en dégageant, pour chacun, les tendances médiatiques marquantes.

Politique : un récit paternaliste et la normalisation du pouvoir d’exception

Dès le début de la pandémie en mars 2020, le premier ministre François Legault a adopté un ton direct, rassurant mais aussi paternaliste dans ses communications quotidiennes, un style largement relayé positivement par les médias. Présenté comme le « bon père de famille » de la nation, Legault a incarné une figure de protecteur invitant les Québécois à la docilité et à la solidarité. Cette stratégie de communication a fait mouche au départ[1], mais elle s’est accompagnée d’une concentration du pouvoir sans précédent. Pendant plus de deux ans, le gouvernement a prolongé l’état d’urgence sanitaire par décrets successifs (113 renouvellements sur 2 ans) en écartant les débats parlementaires[2][3]. Plusieurs observateurs, tels que la Ligue des droits et libertés, dénoncent la banalisation de l’état d’exception et les « tendances autoritaires de la CAQ » qui l’accompagnent[4]. En pratique, Legault et ses ministres ont gouverné par arrêtés, concentrant la décision dans un noyau restreint, « comme des chefs d’entreprises ou des pères de famille alliant autoritarisme et paternalisme »[5].

Les grands médias ont relativement peu contesté cette dérive. Au contraire, ils ont souvent repris le narratif gouvernemental insistant sur l’urgence et la nécessité d’obéir. On a ainsi valorisé la cohésion sociale et minimisé les enjeux démocratiques. Legault a multiplié les appels au devoir civique – « on nous a demandé d’être dociles, de respecter les consignes, de se faire vacciner, d’être patients » – autant de messages largement relayés[6]. Toute remise en question de ces mesures exceptionnelles a été promptement étiquetée dans l’espace public comme irresponsable. Les quelques critiques qui ont tenté de lancer le débat sur la fin de l’urgence sanitaire et le retour à un fonctionnement démocratique normal ont souvent été « délégitimées ou reléguées au fourre-tout des complotistes ou antivaccins »[7]. Autrement dit, exprimer une opinion dissidente en politique pandémique suffisait à se faire taxer de conspirationnisme, ce qui a fortement dissuadé la contestation.

Ce climat médiatique a ainsi normalisé le recours aux pouvoirs d’exception. Par exemple, lorsque le gouvernement Legault a instauré en janvier 2021 un couvre-feu nocturne – du jamais-vu depuis la Crise d’Octobre 1970 – les grands médias ont surtout insisté sur la légalité de la mesure et son acceptabilité dans le contexte de crise. TVA Nouvelles titrait ainsi « Le couvre-feu, une entrave à la liberté ? » pour conclure, sur la foi d’un expert en droit, que non : la limitation de liberté était justifiée par l’objectif valable de protection sanitaire[8][9]. Le message envoyé était clair : les droits fondamentaux s’adaptent au contexte, et la situation d’urgence justifie des entorses temporaires. Cette approche, largement reprise par les médias, a banalisé des restrictions autrefois inimaginables en démocratie, sans grand questionnement quant au précédent créé.

Santé publique : moralisation extrême et mesures coercitives « nécessaires »

La pandémie de COVID-19 a catalysé la rhétorique autoritaire la plus flagrante dans les médias québécois. Face à la peur du virus, nombre de journalistes et chroniqueurs ont embrassé une ligne dure, justifiant des mesures coercitives comme des « maux nécessaires ». Les périodes de confinement, l’interdiction des rassemblements privés, le couvre-feu généralisé ou encore le passeport vaccinal ont été largement soutenus, voire réclamés, par des voix médiatiques influentes.

Dès le premier couvre-feu de janvier 2021, certains analystes ont perçu un glissement. Certes, le gouvernement présentait le couvre-feu comme un outil sanitaire pour casser la vague, mais en réalité « l’effet du couvre-feu sur les cas est introuvable » dans les données[10][11]. Des experts critiques l’ont plutôt analysé comme « un outil de communication politique autoritaire visant le contrôle physique des populations »[12]. Or, dans l’instant, les grands médias ont peu relayé ces doutes. Au contraire, l’imposition du couvre-feu a été couverte de façon factuelle, souvent fataliste, insistant sur le caractère exceptionnel mais nécessaire de la mesure. Le discours de la peur et de la culpabilisation a dominé : chaque entorse individuelle aux règles était blâmée pour la propagation du virus. Par exemple, le Journal de Montréal a abondamment mis en scène la désapprobation envers les « 10 000 manifestants antimasques » de Montréal en septembre 2020, soulignant qu’ils se « moquaient des mesures sanitaires », se faisaient des « câlins gratuits » et traitaient le masque obligatoire de mesure « dictatoriale »[13][14]. De tels reportages présentaient ces protestataires comme irresponsables et dangereux, appuyant ainsi l’idée que la fermeté de l’État à leur égard était justifiée.

La moralisation du débat sanitaire a atteint son paroxysme avec la campagne de vaccination. Lorsque Québec a instauré le passeport vaccinal (septembre 2021) pour restreindre l’accès des non-vaccinés à certains lieux, la plupart des médias en ont fait un enjeu de responsabilité individuelle et d’altruisme. On lit ainsi dans Le Journal de Montréal les propos d’un restaurateur se réjouissant que « le passeport est un mal nécessaire pour rester ouvert »[15]. Le message médiatique dominant était que la mesure, bien que contraignante, était acceptée par la population raisonnable – seuls quelques « chialeux » marginalisés s’y opposaient[16][17]. Toute critique du passeport vaccinal a vite été associée à de l’égoïsme antisocial.

Plus marquant encore, certains chroniqueurs vedettes ont adopté un ton ouvertement haineux envers les non-vaccinés ou opposants aux mesures. Ainsi, en avril 2021, Richard Martineau publiait dans Le Journal de Montréal une chronique au vitriol intitulée « Le passeport vaccinal est injuste ? », où il ridiculisait les droits des non-vaccinés dans des termes injurieux. « Je n’en ai rien à cirer de vos droits », écrivait-il à propos de ceux qui refusent le vaccin, en ajoutant vulgairement qu’il se les « foutait dans le schtroumpf »[18]. Il traitait ces personnes de « bébés gâtés » criant « Libââârté !», les accusant d’un « degré d’égoïsme dégueulasse »[19][20]. Martineau opposait les « citoyens RESPONSABLES et ALTRUISTES » (les vaccinés) aux « égoïstes » qu’il conviendrait de priver de sorties et de plaisirs[21][22]. Ce déferlement de mépris moral a été publié sans retenue dans l’un des quotidiens les plus lus, illustrant la démonisation des voix dissidentes en matière sanitaire.

De son côté, Patrick Lagacé à La Presse a également prôné une ligne dure. Dans une chronique intitulée « Oui au passeport vaccinal », il a défendu l’exclusion des non-vaccinés de nombreuses sphères de la vie sociale, au point d’implorer le gouvernement Legault d’imposer des mesures draconiennes – par exemple empêcher les non-vaccinés d’aller travailler[23]. Selon une analyse critique, Lagacé et d’autres chroniqueurs ont ainsi « prôné sans gêne la discrimination des non-vaccinés et la suppression de leurs droits fondamentaux »[24]. Le langage employé frôlait une rhétorique “totalitaire”, divisant le monde entre « nous » (les bons citoyens vaccinés) et « les autres » à ostraciser[25].

Le recours à la honte et à la peur a donc été systématique dans la couverture de la santé publique. Sous couvert de responsabilité collective, on a normalisé l’idée qu’il était acceptable de restreindre sévèrement certaines libertés individuelles (circulation, réunion, vie privée) pour la cause supérieure de la santé. Toute contestation était renvoyée à l’irrationalité (complotisme, égoïsme ou ignorance). Cette homogénéisation du discours, très moralisateur, a servi à justifier des mesures extrêmes comme le couvre-feu – que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier aujourd’hui « d’acte de violence d’État » inédit[26][27] – ou l’ostracisation officielle d’une minorité de la population. Même lorsque l’inefficacité de certaines mesures s’est confirmée (par ex. impact négligeable du couvre-feu sur la transmission[28][29], gain vaccinal modeste du passeport[30]), le récit médiatique dominant a peu remis en question la proportionnalité de ces restrictions. La fin semblait justifier les moyens, ouvrant la porte à un style de gouvernance plus coercitif accepté par l’opinion.

Climat : catastrophisme et devoir collectif unanime

Sur le front de la crise climatique, le discours médiatique québécois depuis 2020 s’est également durci, quoique d’une autre manière. Ici, pas de mesures policières spectaculaires comme un couvre-feu, mais un registre sémantique souvent catastrophiste – insistant sur l’urgence existentielle – couplé à un appel pressant au grand virage collectif. La tonalité peut être anxiogène : on parle d’« avenir de l’humanité [qui] se joue » lors des sommets internationaux comme la COP26[31], du « moment de vérité pour notre planète et pour nos enfants » selon les mots émus du président de la conférence de Glasgow[32]. Ces déclarations, relayées via des alertes nouvelles par Radio-Canada, La Presse et Le Devoir, posent un cadre dramatique où la peur du cataclysme est utilisée comme ressort principal pour mobiliser l’opinion.

Face à ce constat alarmant, les médias québécois oscillent entre le silence et la surenchère. Une analyse de la couverture médiatique du climat note que la presse peine encore à trouver le ton juste entre « silence radio » et « catastrophisme », avec une impression de répétition qui peut lasser[33][34]. Néanmoins, lors de moments clés (ex. l’automne 2021 pendant la COP26), plusieurs grands médias ont propulsé le climat « à l’avant-scène », multipliant reportages et chroniques sur l’urgence climatique[35]. Le consensus éditorial de fond est que la situation est gravissime et nécessite des actions radicales. Le devoir moral collectif de changer nos habitudes pour réduire les émissions est un leitmotiv. On valorise la conformité aux recommandations des experts (scientifiques du GIEC, etc.), et ceux qui tergiversent sont présentés comme manquant à leur devoir envers les générations futures.

Dans ce contexte, les voix dissidentes sur le climat – qu’il s’agisse de climatosceptiques ou simplement de gens opposés à certaines politiques environnementales drastiques – ont quasi disparu des médias traditionnels. Le débat se situe essentiellement entre ceux qui en veulent « plus » et ceux qui en font « pas assez ». Toute remise en cause frontale de la doxa climatique se voit aussitôt disqualifiée comme désinformation dangereuse ou influence de l’extrême droite (les médias associent volontiers le déni climatique aux théories du complot en ligne). Cela contribue à un cercle discursif fermé : l’idée même qu’une mesure écologique pourrait être liberticide ou autoritaire est très peu explorée. Au contraire, on justifie par avance d’éventuelles contraintes fortes au nom de la survie planétaire. Par exemple, la possibilité de restreindre la voiture en ville, d’interdire certains produits ou d’imposer de nouvelles taxes vertes est souvent présentée comme un sacrifice minime comparé au chaos climatique annoncé. Là encore, on retrouve l’argument du « mal nécessaire » pour le bien commun.

Le langage technocratique des cibles de réduction de GES, des échéanciers 2030-2050 et des données scientifiques complexes est abondamment repris, ce qui peut donner au lecteur le sentiment que « la science l’exige » et qu’il n’y a pas lieu de débattre. Cette forme de rhétorique – l’autorité de la science et de l’urgence – laisse peu de place à la nuance ou à la contestation démocratique des politiques climatiques. Sans prôner explicitement des méthodes autoritaires, le discours médiatique sur le climat prépare les esprits à accepter des changements contraignants pilotés d’en haut (par décret gouvernemental ou règlementation sévère) puisqu’il en va de la “vérité” scientifique et de la survie de tous. La peur climatique, comme la peur pandémique, devient un outil de persuasion de masse justifiant la primauté de l’objectif collectif sur les libertés individuelles.

Sécurité publique : peur, surveillance et narratif de l’ordre à tout prix

Qu’il s’agisse de sécurité sanitaire, de sécurité physique ou de stabilité sociale, les médias ont souvent privilégié un récit anxiogène poussant à l’acceptation de mesures musclées. Dans le contexte plus spécifique de la sécurité publique (criminalité, troubles sociaux, menaces extrémistes), on observe depuis 2020 une tendance à dramatiser les dangers pour légitimer un renforcement de l’ordre.

D’une part, l’augmentation des fusillades et crimes à Montréal en 2021-2022 a entraîné une couverture médiatique axée sur la peur et l’exaspération, particulièrement dans les médias populistes. Le Journal de Montréal et TVA Nouvelles ont multiplié les manchettes sur la « vague de violence » et les « criminels en liberté », alimentant un sentiment d’urgence sécuritaire. Les solutions mises de l’avant dans ces médias sont presque toujours répressives : plus de policiers dans les rues, durcissement des peines, retrait des libérations conditionnelles jugées trop laxistes, etc. Cette vision très punitive est présentée comme du simple bon sens face à des menaces imminentes. La notion de prévention ou de respect des droits des suspects est reléguée au second plan, et ceux qui défendent une approche équilibrée sont parfois accusés de laxisme. Ainsi, le climat médiatique pousse les dirigeants à adopter des postures fermes. Quand le gouvernement Legault promet de nouvelles lois pour contrer la violence armée ou autoriser des fouilles sans mandat dans certains contextes, cela suscite peu d’opposition médiatique, tant le récit de la peur a préparé l’opinion à accepter un recul des garanties habituelles.

D’autre part, la couverture de phénomènes comme les manifestations et mouvements contestataires a souvent mis l’accent sur leur caractère potentiellement menaçant pour l’ordre public, justifiant des mesures d’exception. Un cas emblématique est celui du « Convoi de la liberté » à Ottawa en janvier-février 2022. Dans la presse québécoise dominante, ces manifestants opposés aux mesures sanitaires ont été décrits comme « une foule enragée », « une menace extrémiste » flirtant avec la violence. La résolution de cette crise par le recours, inédit, à la Loi fédérale sur les mesures d’urgence – équivalent contemporain des mesures de guerre – n’a pas suscité de tollé médiatique majeur au Québec. Au contraire, plusieurs éditorialistes ont soutenu Justin Trudeau dans sa décision de suspendre temporairement des droits (liberté d’assemblée, gel d’avoirs financiers des participants) pour démanteler les blocus. L’idée qu’une telle loi draconienne puisse constituer un dangereux précédent a été peu débattue ; l’essentiel de la narration médiatique tournait autour du devoir de rétablir l’ordre et de « protéger la démocratie contre la sédition ». La peur du chaos l’a emporté sur la défense des libertés publiques, entérinant la notion qu’une réaction autoritaire était parfois nécessaire pour la sécurité de tous.

Un autre aspect révélateur est la façon dont ont été traités les médias ou personnalités diffusant des discours jugés dangereux. Par exemple, la station CHOI Radio X de Québec, connue pour ses positions anti-mesures sanitaires, a été ouvertement qualifiée de « danger pour la santé publique » par les autorités locales, propos repris dans les journaux[36][37]. En septembre 2020, le maire de Québec a retiré toute publicité municipale de cette antenne, accusant la station de « promouvoir la dissidence aux mesures de santé » et de mettre « potentiellement des vies en danger »[36][37]. Cette mise au ban, largement couverte dans les médias, a envoyé le message qu’au nom de la sécurité collective, la dissidence médiatique pouvait être muselée. Sous « prétexte de liberté d’opinion », disait le communiqué officiel, Radio X diffusait des idées néfastes ; en filigrane, on comprend que la liberté d’expression ne saurait couvrir ce qui est perçu comme une menace à la collectivité.

De même, le traitement médiatique des figures dissidentes a fréquemment recours à la diabolisation personnelle. Un activiste anti-masque comme François Amalega (ancien professeur de maths d’origine africaine) a fait l’objet d’attaques très dures sur certaines tribunes. À LCN (chaîne de TVA), le polémiste Gilles Proulx a dérapé en septembre 2021 en suggérant qu’on « le mette sur une pelle à charbon » et qu’on le renvoie « chez lui », agrémentant d’insultes xénophobes le fait qu’un immigrant noir ose contester les règles sanitaires[38]. Si Proulx a été blâmé par le Conseil de presse pour ces propos racistes[39], la violence verbale envers les contestataires en soi n’a pratiquement pas été dénoncée dans l’espace médiatique[40]. Cela laisse entendre qu’insulter et attiser le mépris contre les opposants « complotistes » est toléré, voire jugé « responsable » par certains journalistes, tant que ces opposants sont disqualifiés dans la catégorie honnie des « conspirationnistes »[41]. Cette asymétrie – sévérité contre les propos haineux visant des minorités, mais complaisance envers les propos haineux visant les dissidents politiques – illustre combien la sécurité du récit dominant prime. Les médias, supposés chiens de garde de la démocratie, ont parfois aboyé avec férocité contre ceux qu’ils devraient servir, c’est-à-dire le public aux opinions diverses[42].

Liberté d’expression : tolérance réduite pour la dissidence et tentations de censure

Enfin, le thème de la liberté d’expression a lui-même été abordé dans un registre plus contraignant depuis 2020. Sous l’effet combiné des crises précédentes, une idée s’est installée dans les narratifs médiatiques : face aux « fausses nouvelles », aux discours haineux et aux théories du complot qui pullulent, il faut encadrer plus strictement la parole publique. Ce glissement s’observe tant dans les appels à censurer certaines tribunes que dans des cas concrets de sanctions.

D’une part, des collectifs de personnalités ont fait front commun contre la « désinformation » et les « propos haineux » dans les médias. En avril 2021, une trentaine d’artistes et politiciens (dont l’ex-députée Catherine Dorion et le député Joël Lightbound) ont lancé un manifeste « Liberté d’oppression » dénonçant la dégradation du débat public causée par certains animateurs[43][44]. Sans les nommer, ils visaient des radios comme CHOI et des chroniqueurs controversés[45]. Ce manifeste, très médiatisé, déplore l’usage de « propos injurieux, amalgames mensongers et diffamatoires » qui « participent à la dégradation de la discussion collective »[44]. S’il pointe légitimement des excès, il traduit aussi une tendance à vouloir surveiller et filtrer les contenus médiatiques. On sent poindre l’idée que certaines paroles devraient être exclues du forum public pour préserver la « santé » du débat. Dans le même esprit, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec ont, entre 2021 et 2023, exploré ou adopté des projets de loi visant à mieux contrôler les contenus en ligne (lois sur la régulation des géants du web, création d’un poste de commissaire à la lutte contre la désinformation, etc.). Ces initiatives, bien que discutées, ont reçu un accueil globalement favorable dans les médias grand public, au nom de la lutte contre la haine et les complots. La possibilité qu’elles limitent la liberté d’expression n’a été que peu soulignée hors des pages d’opinion libertariennes.

D’autre part, des sanctions effectives contre des discours dissidents se sont produites, sans soulever l’indignation qu’on aurait pu attendre en d’autres temps. Un exemple notable est la suspension du professeur Patrick Provost de l’Université Laval en 2022 pour avoir exprimé en conférence des doutes sur la vaccination des enfants contre la COVID-19. Ce professeur de microbiologie a écopé de 8 semaines sans solde pour avoir estimé publiquement que les risques du vaccin chez les jeunes pouvaient dépasser les bénéfices[46][47]. Son cas a certes été rapporté dans les médias, mais plus sous l’angle d’une « controverse universitaire » que d’un enjeu de liberté académique. L’affaire a inquiété les syndicats d’enseignants, qui craignent un effet dissuasif sur la recherche de vérité[48]. Le paradoxe est saisissant : pendant que les médias condamnent – à juste titre – la censure dans certains pays étrangers, ils ont relativisé chez eux une sanction disciplinaire pour opinion scientifique dissidente. La ministre de l’Enseignement supérieur elle-même a admis que ce cas justifiait l’adoption d’une loi protégeant la liberté académique[49], reconnaissance tardive d’un problème que la majorité des journalistes n’avaient pas jugé alarmant sur le moment.

Globalement, la période récente a vu une réduction du pluralisme des points de vue acceptables dans l’espace médiatique dominant. Qu’il s’agisse de la pandémie, du climat, ou d’autres sujets polarisants, la fenêtre de ce qu’on peut dire librement s’est resserrée. Un chroniqueur du Tribune de l’infaux résume ce phénomène comme un « viol collectif des dissidents québécois par les médias durant la crise covidienne », pointant une forme de pensée unique promue par des figures médiatiques devenues intouchables[50][51]. Le terme est fort, mais il reflète le ressenti d’une partie de la population qui s’est vue constamment ridiculisée, insultée ou ignorée dans les grands médias. La diabolisation systématique de certains groupes (antivax, contestataires, même simples sceptiques) a créé un climat où exercer sa liberté d’expression critique exposait à la honte publique et à la perte de légitimité.

En parallèle, les médias ont largement soutenu des initiatives qui, sous couvert de bonnes intentions, s’apparentent à de la censure douce. Par exemple, lorsque Facebook et Twitter ont banni des comptes conspirationnistes notoires ou supprimé des pages anti-mesures, la nouvelle a été accueillie favorablement dans la presse, comme un nettoyage bienvenu de l’espace informationnel. Peu de voix médiatiques se sont inquiétées des dérives potentielles d’un tel pouvoir de censure privée ou de la définition élastique de la « désinformation ». Il s’est créé un consensus implicite : « la mésinformation a pour but d’éroder la confiance du public et de polariser l’opinion », lit-on dans un guide gouvernemental largement cité[37], donc la combattre activement (y compris par suppression de contenu) relève du bien commun. Ainsi, censure et autocensure ont progressé sous l’applaudissement d’une partie des élites médiatiques, convaincues qu’il faut protéger le public contre lui-même. Ce glissement paternaliste – « on sait mieux que vous ce qui est bon à entendre » – est sans doute l’un des symptômes les plus subtils de la montée d’un discours autoritaire.

Conclusion

De la pandémie à la crise climatique, en passant par les enjeux de sécurité et de liberté d’expression, les médias de masse québécois ont progressivement intégré des éléments de discours autoritaire dans leur traitement de l’actualité depuis 2020. Cela se manifeste par la normalisation de mesures coercitives exceptionnelles (couvre-feux, passeports sanitaires, lois d’urgence), la justification morale de restrictions de libertés au nom du bien commun, la stigmatisation des voix dissidentes présentées comme dangereuses ou irrationnelles, l’usage intensif de la peur et de l’appel à la conformité sociale, le tout souvent enveloppé d’un ton technocratique ou paternaliste.

Il ne s’agit pas de dire que le Québec vit sous un régime autoritaire – la liberté de presse et les institutions démocratiques y restent en place. Néanmoins, le récit médiatique dominant s’est durci, laissant de moins en moins de place à la contestation et à la nuance. En des temps troublés, les médias auraient pu être le lieu d’un débat démocratique vigoureux sur l’équilibre entre sécurité collective et droits individuels. Or, trop souvent, ils ont choisi le camp de la facilité : relayer sans recul la ligne gouvernementale, ou pire, jouer les procureurs publics fustigeant quiconque s’écarte du narratif approuvé. Cette évolution comporte des dangers. En acceptant aujourd’hui qu’on « suspende » certaines libertés pour de bonnes raisons, on prépare l’opinion à les sacrifier demain pour de moins bonnes.

Il est donc crucial de garder un regard critique sur ces tendances. Reconnaître ces signes de montée d’un discours autoritaire dans nos médias, c’est la première étape pour y remédier. Des voix s’élèvent d’ailleurs – universitaires, organismes de défense des droits, journalistes indépendants – pour rappeler l’importance du pluralisme et du respect des principes démocratiques, même (et surtout) en temps de crise. Reste à espérer que les grands médias traditionnels entendront ce message et retrouveront leur rôle premier : informer, expliquer et débattre, plutôt que moraliser et diviser. En démocratie, la fin ne justifie pas tous les moyens, et le rôle de la presse est d’être le contre-pouvoir vigilant, pas le vecteur d’une pensée unique sécuritaire. L’histoire récente doit servir de leçon : le devoir collectif ne doit plus être instrumentalisé au point d’étouffer les libertés individuelles qui fondent notre société libre.

Sources : Journal de Montréal, Journal de Québec, La Presse, Radio-Canada, Le Devoir (2020-2023); analyses de l’IRIS[30][52], de la Ligue des droits[5][7], revue Éthique publique[11]; chroniques de Richard Martineau[21][19] et Patrick Lagacé; articles de Radio-Canada/TVA[8][36]; site du Conseil de presse du Québec; etc.

[1] Éclipse médiatique et paternalisme de François Legault – Syndicat de Champlain

Éclipse médiatique et paternalisme de François Legault

[2] [3] [4] [5] [6] [7] Les deux années de pandémie n’auront pas été une école de la démocratie – Ligue des droits et libertés

Les deux années de pandémie n’auront pas été une école de la démocratie

[8] [9] Le couvre-feu, une entrave à la liberté? | JDQ

https://www.journaldequebec.com/2021/01/06/le-couvre-feu-une-entrave-a-la-liberte-1

[10] [11] [12] Le couvre-feu : mesure épidémiologique ou outil de communication politique ?

https://journals.openedition.org/ethiquepublique/6979?lang=fr

[13] [14] Au diable les mesures sanitaires | Le Journal de Montréal

http://www.journaldemontreal.com/2020/09/12/au-diable-les-mesures-sanitaires

[15] [16] [17] Le passeport vaccinal passe le test dans le long week-end | JDM

https://www.journaldemontreal.com/2021/09/06/le-passeport-vaccinal-passe-le-test-dans-le-long-week-end

[18] [19] [20] [21] [22] Le passeport vaccinal est injuste? | Le Journal de Montréal

https://www.journaldemontreal.com/2021/04/25/le-passeport-vaccinal-est-injuste

[23] [24] [25] [38] [39] [40] [41] [42] [50] [51] Rage médiatique et viol collectif des dissidents québécois – Le Tribunal de l’infaux

https://tribunaldelinfaux.com/2023/03/30/rage-mediatique-et-viol-collectif-des-dissidents-quebecois

[26] [27] [28] [29] Couvre-feu : plus jamais – Pivot

Couvre-feu : plus jamais

[30] [52] La gestion de la COVID-19 au Québec : entre opacité, autoritarisme et déni – Institut de recherche et d’informations socioéconomiques

La gestion de la COVID-19 au Québec : entre opacité, autoritarisme et déni

[31] [32] [33] [34] [35] Le climat fait-il vibrer les médias québécois? – Institut du Nouveau Monde

Le climat fait-il vibrer les médias québécois?

[36] [37] Quebec City yanks advertising at local radio station over opposition to coronavirus measures – Montreal | Globalnews.ca

Quebec City yanks advertising at local radio station over opposition to coronavirus measures

[43] [44] [45] Médias du Québec: front commun contre les propos haineux et la désinformation | JDQ

https://www.journaldequebec.com/2021/04/16/medias-du-quebec-front-commun-contre-les-propos-haineux-et-la-desinformation

[46] [47] [48] [49] Union says Quebec prof’s suspension for anti-vax comments violates academic freedom

Union says Quebec prof’s suspension for anti-vax comments violates academic freedom

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