La pluie qui est tombée sur Montréal n’avait rien d’exceptionnel. 70 à 100 mm en une journée, avec un pic de 57 mm en une heure, ce sont des chiffres que plusieurs grandes villes du monde ont appris à gérer sans transformer leurs rues en rivières. Ce que nous avons vu, ce n’est pas le résultat des changements climatiques, c’est le résultat de plusieurs décennies de négligence, de choix politiques mal orientés et de déresponsabilisation chronique.
Et la mairesse de Montréal, Valérie Plante, fait exactement ce que ses prédécesseurs ont fait avant elle : elle communique, elle redirige la faute, elle enjolive la surface et elle refuse de reconnaître que le vrai problème est sous nos pieds. Le réseau d’égout de Montréal est vieillissant, sous-dimensionné, mal entretenu, et pourtant, les priorités d’investissement ont toujours penché du côté du visible, du politique, du symbolique. C’est plus payant de couper un ruban que de creuser un trou.
Pendant que des villes comme Tokyo, Rotterdam, Copenhague ou Singapour investissent dans des réseaux dédiés, des bassins souterrains de rétention, des pompes de grande capacité et des systèmes adaptés aux pluies extrêmes, Montréal installe des parcs-éponges décoratifs et repeint des trottoirs pour donner bonne conscience. Il ne suffit pas de planter quelques arbres ou d’installer des bancs design pour prévenir une inondation.
À Tokyo, le projet G-Cans (Metropolitan Area Outer Underground Discharge Channel) est un complexe de tunnels de plus de 6 km, avec des silos de 70 m de profondeur, capable de stocker 670 000 mètres cubes d’eau et de pomper jusqu’à 200 mètres cubes par seconde. Ce système gère des pluies de 100 mm/h sans perturber la ville.
Rotterdam, aux Pays-Bas, combine bassins souterrains, rues inondables réversibles et bassins de rétention dans les parcs, avec une stratégie d’investissements constants prévus jusqu’en 2050 pour tolérer jusqu’à 130 mm/h.
Copenhague a lancé un plan de plus de 1,8 milliard d’euros après les pluies records de 2011, misant sur la séparation des réseaux pluviaux et sanitaires, la rétention temporaire en surface, et des artères transformées en canaux déviateurs d’urgence.
Singapour, de son côté, gère les eaux de pluie avec le barrage Marina et le programme ABC Waters. Le pays peut absorber jusqu’à 100 mm de pluie à l’heure, grâce à un réseau de canaux et de bassins contrôlés par des capteurs en temps réel.
Et à chaque critique, les mêmes pseudo-experts se précipitent pour nous expliquer que « c’est comme ça partout ». Non. Ce n’est pas comme ça partout. Ailleurs, on agit. À Montréal, on communique.
Une des grandes faiblesses de notre époque, c’est cette incapacité collective à reconnaître l’échec lorsque celui-ci vient de « notre camp » politique. Trop de citoyens défendent corps et âme des administrations incompétentes par simple réflexe partisan, refusant d’admettre que des élus qu’ils soutiennent puissent aussi se tromper, mal planifier ou fuir leurs responsabilités. Cette loyauté mal placée empêche toute amélioration réelle. Admettre qu’on s’est trompé, ce n’est pas trahir une idéologie, c’est respecter la réalité et les gens qui vivent avec ses conséquences.
On en est même rendus à se poser une question troublante : faut-il confier la rénovation de nos infrastructures à des firmes étrangères, avec une main-d’œuvre venue d’ailleurs, simplement pour espérer un travail bien fait, à un prix raisonnable, dans un délai réaliste ? Parce qu’au Québec, le système est tellement enchevêtré de corruption, de monopoles déguisés, de firmes intouchables et de chantiers éternels, qu’on finit trop souvent avec des projets qui coûte quatre fois le prix estimé, pour une qualité à peine acceptable. Ce n’est pas une insulte aux travailleurs, c’est un constat sur l’écosystème politico-économique qui les encadre. Si l’on veut des résultats durables, peut-être faut-il commencer par assainir les fondations… institutionnelles.
La Ville de Montréal a d’ailleurs présenté son Programme décennal d’immobilisations (PDI) 2025–2034, un plan ambitieux de 24,8 milliards. Une part importante est censée aller à l’entretien. Mais encore une fois, rien de précis ne garantit que les réseaux d’égouts, en particulier la capacité de drainage face aux fortes pluies, soient enfin traités comme prioritaires. Tant qu’on n’aura pas un plan clair, chiffré, public et mesurable pour adapter le sous-sol montréalais, ce document reste une promesse sur papier, pas une solution.
Et à coût égal, posons-nous une autre question. Avec un budget de 25 milliards, combien de villes ailleurs dans le monde pourraient faire trois à quatre fois plus de travaux, si ce n’était pas des firmes locales habituées aux dépassements, aux contrats opaques, aux délais chroniques et aux couches d’intermédiaires ? Le problème, ce n’est pas le manque d’argent, c’est ce que nous en faisons, et qui le fait.
Ce que ce plan devrait garantir, de façon concrète, c’est :
- Une part budgétaire clairement identifiée pour la modernisation du réseau de drainage pluvial.
- Des objectifs chiffrés de capacité d’absorption (ex. : mm/h tolérable sans inondation).
- Des étapes annuelles de mise à niveau avec indicateurs de performance.
- Une stratégie de transparence avec rapports publics et suivis détaillés.
- L’engagement de corriger les zones connues de saturation historique, avant toute initiative d’embellissement ou de verdissement de surface.
Ce que la mairesse devrait faire, ce n’est pas seulement parler d’adaptation. C’est d’abord assumer. Assumer que les choix passés, incluant ceux de son administration, ont contribué à la vulnérabilité de la ville. Assumer que les vraies solutions ne sont pas jolies, ne donnent pas de photo dans Le Devoir, mais fonctionnent. Il faut moderniser, agrandir, reconstruire, nettoyer et entretenir le réseau souterrain. Il faut arrêter de penser en année électorale et commencer à planifier sur 25 ans.
Montréal ne peut plus se permettre une administration qui gère la pluie comme si elle était un fait imprévisible. Ce n’est pas la pluie qui est anormale, c’est l’état de la ville qui l’est.
Mise à jour :
Dernièrement, un avis de travaux envoyé aux citoyens de la rue Chateaubriand a déclenché la colère et l’incompréhension. On y apprend que malgré une problématique récurrente de refoulement d’égout, aucun travail de correction n’est prévu avant 2028. En revanche, la ville annonce fièrement que deux nouvelles pistes cyclables seront aménagées dès 2025 dans le secteur. Pire encore, on justifie ces priorités douteuses en mentionnant que plus de 200 millions de dollars sont investis dans des mandats confiés à des firmes externes de génie-conseil. Ce document illustre parfaitement la logique renversée de l’administration : retarder l’essentiel, promouvoir l’accessoire.

Mise à jour 2 :
Fait troublant : le pamphlet reproduit ci-dessus, qui a largement circulé dans le quartier et sur les réseaux sociaux, serait en réalité un faux. Malgré la diffusion de ce document aux allures officielles — et le climat d’indignation qu’il a suscité — la Ville refuse d’ouvrir une enquête pour en retracer l’origine. Une attitude pour le moins inquiétante : que le document soit authentique ou non, il révèle un niveau de cynisme tel que bon nombre de citoyens n’ont même pas douté de sa véracité. Quand l’absurde devient plausible, c’est l’indifférence administrative qui alimente la méfiance citoyenne.
