Le mouvement du logiciel libre et open source (FOSS – Free and Open Source Software) est né d’une philosophie basée sur la liberté, l’accessibilité et la collaboration. Pourtant, il est frappant de constater que de nombreux défenseurs de cette cause affichent une méfiance, voire une hostilité, envers le libre marché, la libre entreprise et la liberté d’expression. Comment expliquer ce paradoxe où des personnes qui militent pour un modèle de production décentralisé et participatif en viennent à soutenir un contrôle étatique accru et une intervention publique extensive?
1. Origines et idéologie du logiciel libre
Le mouvement du logiciel libre a été initié dans les années 1980 par Richard Stallman et la Free Software Foundation (FSF). Son objectif était de garantir quatre libertés fondamentales aux utilisateurs de logiciels :
- La liberté d’exécuter le programme pour n’importe quel usage.
- La liberté d’étudier le code source et de le modifier.
- La liberté de redistribuer des copies.
- La liberté d’améliorer le programme et de partager les améliorations.
Cette philosophie repose sur une idée forte : la liberté individuelle de chaque utilisateur d’utiliser et de modifier son logiciel sans restriction. Pourtant, une frange importante des défenseurs du logiciel libre adopte une posture politique à l’opposé de cette liberté lorsqu’il s’agit de l’économie et de la société dans son ensemble.
2. L’amalgame entre « libre » et « gratuit »
Beaucoup de défenseurs du logiciel libre confondent souvent logiciel libre et logiciel gratuit (« free software » en anglais, qui signifie à la fois « libre » et « gratuit »). Cette confusion a conduit certains à voir le modèle open source comme une alternative anti-capitaliste, opposée à la propriété intellectuelle et aux entreprises commerciales.
Or, le succès d’entreprises comme Red Hat, Canonical ou GitHub (avant son rachat par Microsoft) montre que le modèle open source peut prospérer dans un marché libre. Malheureusement, certains partisans du logiciel libre considèrent le simple fait de vendre un logiciel comme un acte moralement condamnable, ce qui les pousse à rejeter le marché en général.
3. Une influence universitaire et une méfiance vis-à-vis du marché
Le mouvement du logiciel libre est né dans des milieux universitaires et de recherche publique, où la collaboration ouverte était encouragée. Dans ces environnements, l’idée de financer des logiciels grâce à des licences privatives était souvent perçue comme un frein à la recherche et à l’innovation.
Cette culture universitaire a conduit à une méfiance envers le marché, perçu comme un système exploitant le savoir au profit d’intérêts privés. Ainsi, certains défenseurs du logiciel libre préfèrent voir un contrôle réglementaire accru, par l’état, plutôt qu’une autorégulation par le marché.
4. Opposition aux monopoles privés, mais tolérance aux monopoles publics
Un des arguments majeurs des défenseurs du logiciel libre est leur opposition aux monopoles privés, notamment ceux des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Pourtant, beaucoup de ces mêmes militants acceptent voire défendent les monopoles étatiques, qu’il s’agisse de la régulation du web, des systèmes de taxation ou de la gestion de la donnée publique.
Cette contradiction est particulièrement visible lorsqu’ils exigent que les gouvernements imposent des restrictions sur le marché technologique, tout en réclamant plus d’ouverture pour les logiciels. Ils refusent que Microsoft impose ses choix à ses utilisateurs, mais trouvent normal que l’État impose ses propres règles de manière autoritaire.
5. Un rejet du modèle individualiste au profit d’une vision collectiviste
Le modèle open source repose sur une initiative individuelle : des développeurs créent et partagent leur travail volontairement, sans coercition. C’est un modèle qui s’apparente davantage à une forme de capitalisme coopératif, où chaque contributeur apporte sa pierre à l’édifice par choix personnel.
Or, de nombreux défenseurs du logiciel libre rejettent ce principe d’initiative individuelle dans d’autres sphères de la société. Ils préfèrent imposer par la force des modèles étatiques de redistribution et de régulation plutôt que de laisser les individus choisir leur mode de fonctionnement. Cette idéologie repose sur l’idée que l’initiative privée est suspecte, alors qu’en réalité, c’est précisément ce qui fait fonctionner l’open source.
6. Le paradoxe en résumé
- Ils défendent la liberté d’accès au code mais rejettent la liberté d’entreprise.
- Ils critiquent les monopoles privés, mais acceptent les monopoles publics.
- Ils célèbrent la collaboration volontaire dans le logiciel libre, mais veulent plus de contrôle et de réglementation dans l’économie.
- Ils veulent que les utilisateurs aient le droit de modifier leur logiciel, mais soutiennent des restrictions sur la liberté d’expression et d’échange.
Conclusion
Le logiciel libre est une preuve que l’économie du marché fonctionne : il repose sur la contribution volontaire et la coopération libre, sans coercition étatique. Pourtant, bon nombre de ses défenseurs semblent adopter une posture collectiviste qui va à l’encontre des principes mêmes qui ont fait le succès du mouvement. Comprendre ce paradoxe est essentiel pour défendre une vision cohérente de la liberté, qu’elle soit numérique, économique ou individuelle.